M. Nicoli: Apporter les lumières au plus grand nombre

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Titel
Apporter les lumières au plus grand nombre. Médecine et physique dans le Journal de Lausanne (1786-1792)


Autor(en)
Nicoli, Miriam
Erschienen
Lausanne 2006: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
260 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre-Yves Donzé

Issu d’un mémoire de licence réalisé à l’Université de Lausanne, le livre de Miriam Nicoli est une contribution particulièrement originale à l’étude de la vulgarisation et de la diffusion des savoirs médicaux et scientifiques au cours de la seconde partie du 18e siècle. Tandis que l’historiographie a privilégié jusqu’à présent des sources telles que les ouvrages rédigés par les scientifiques, l’auteure recourt à un journal destiné aux classes moyennes alphabétisées, et l’utilise pour y analyser l’intermédiation culturelle et la diffusion des connaissances dans l’ensemble de la société.

L’ouvrage comprend trois parties dans lesquelles l’auteure présente différentes thématiques liées à sa problématique. La première partie est contextuelle et descriptive. Le Journal de Lausanne, publié entre décembre 1786 et décembre 1792, y est présenté dans le cadre d’un marché journalistique en plein essor. Il est l’oeuvre d’un pharmacien d’origine huguenote, Jean Lanteires (1756–1797), qui se consacre à son oeuvre culturelle et littéraire beaucoup plus qu’à son métier d’apothicaire. L’originalité de ce journal, qui explique selon l’auteure sa relative longévité dans le contexte de la fin du 18e siècle, est liée à sa vocation: diffuser auprès d’un large public des connaissances variées dans les domaines des sciences, de la médecine, de la littérature, des arts et de la bienfaisance. Bref, une véritable vulgarisation à l’échelle encyclopédique. Le Journal de Lausanne occupe ainsi une place particulière sur le marché de l’édition, entre les ouvrages de vulgarisation scientifique destinés à une élite éclairée et les almanachs populaires, destinés au peuple mais sans grande valeur scientifique. Lanteires a ainsi un objectif précis dans sa politique de vulgarisation: démocratiser la connaissance scientifique et l’usage pratique que l’on peut tirer de ces connaissances. Raison pour laquelle le rédacteur a «un souci majeur de clarté et de simplicité dans la communication avec le public» (p. 51): les articles sont brefs et écrits dans une langue simple.

Dans une seconde partie, l’auteure montre le processus de vulgarisation de manière tout à fait concrète. L’ambition de Lanteires peut être qualifiée d’utilitariste et de démocratique, dans le sens qu’il cherche aussi bien à montrer à la population à quoi peuvent concrètement servir les découvertes de la science et de la médecine, qu’à s’adresser, de manière directe, au plus grand nombre. Reflet de cette volonté, l’éditeur affirme, dans un numéro de juin 1789, son désir de voir la publication d’un manuel de physique destiné «au cultivateur, à l’artisan, au manoeuvrier & aux domestiques» (p. 80). Lanteires n’est ainsi pas la voix des médecins auprès du peuple, comme le célèbre Dr Tissot. Il cherche à démocratiser le savoir. Il présente ainsi, avec des mots simples, des ouvrages médicaux et scientifiques, ainsi que divers travaux, tels que ceux de la Société des sciences physiques de Lausanne. L’auteure montre de nombreux exemples concrets de ces exposés en prenant les cas de l’électricité et de la médecine.

Enfin, une troisième partie est consacrée aux agents et aux pratiques de la diffusion du savoir. La vulgarisation n’est en effet pas inscrite dans un mouvement unidirectionnel qui irait des élites vers le peuple, mais résulte d’une dialectique entre les divers acteurs. Une analyse très intelligente des courriers de lecteurs, conçus comme un «forum interactif» (p. 149), permet à l’auteure de mettre en évidence l’importance de ce type d’articles dans la diffusion des savoirs. Dans le domaine de la médecine en particulier, ils représentent 43% de l’ensemble des articles. On a alors affaire à des conseils extrêmement pratiques et applicables, essentiellement sur l’usage de médicaments. Nicoli y voit avec justesse «une volonté de transmettre au plus grand nombre des savoirs thérapeutiques secrets» (p. 157), une ambition qui mène Lanteires à se mettre à dos la corporation médicale lausannoise, dont aucun représentant ne participe à la rédaction du journal.

Alors que les travaux sur la vulgarisation scientifique au 18e siècle portent souvent sur des ouvrages rédigés par des savants pour les classes éclairées de la population, tel le fameux Avis au peuple sur sa santé de Tissot, l’excellent ouvrage de Miriam Nicoli met bien en évidence le fait que la diffusion des savoirs est aussi, voire surtout, le fruit d’une révolution culturelle, comme l’a notamment montré Olivier Faure dans le cas de la médecine. Cette étude, qui aborde aussi bien les exemples de la physique que de la médecine, accorde une attention privilégiée à ce second domaine. La thématique de la médecine aurait toutefois nécessité des approfondissements afin de mieux situer l’oeuvre de Lanteires dans le contexte socio-politique de la médecine du second 18e siècle, époque qui voit les médecins s’imposer comme les référents en matière de soins, avec notamment la création en 1787 du Collège de médecine de Lausanne, puis l’instauration, l’année suivante, d’une réglementation officielle de l’exercice de la médecine. L’enjeu, pour le corps médical, est l’exclusion des concurrences (charlatans, sages-femmes, faiseurs de secret, etc.) et la maîtrise du marché des soins. C’est ce qui explique la ferme opposition des médecins au projet démocratique de Lanteires qui vise à s’affranchir de leurs services grâce à la généralisation de l’automédication. C’est aussi la raison pour laquelle le Journal de Lausanne donne la parole aux sages-femmes qui refusent l’arrivée des accoucheurs dans le domaine de l’obstétrique. Beaucoup plus qu’un conflit de genre, comme il est présenté par l’auteure, les tentatives de refus de subordination des sages-femmes au corps médical s’expliquent par le contexte général de réorganisation du marché des soins au profit des médecins, un phénomène qui touche aussi d’autres corps de métiers, dont les apothicaires. A ce propos, ce n’est sans doute pas un hasard si la pharmacie de Lanteires est fermée par les autorités en 1788.

Citation:
Pierre-Yves Donzé: Compte rendu de: Miriam Nicoli: Apporter les lumières au plus grand nombre. Médecine et physique dans le Journal de Lausanne (1786–1792). Lausanne, Antipodes, 2006. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 58 Nr. 2, 2008, pages 230-232.

Redaktion
Veröffentlicht am
27.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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